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Guide stratégique
à l’inten­tion des démo­crates africains

par The Brenthurst Foundation · À propos des auteurs


Produit avec l’assistance de la Konrad Adenauer Stiftung et du World Liberty Congressss

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Avant-propos

Bobi Wine

Robert Kyagulanyi (Bobi Wine)

Trucage électoral et outils dont dispose le régime autoritaire

Les élections générales qui ont eu lieu en Ouganda en 2021 montrent à quel point les dirigeants autoritaires ne reculent devant rien pour conserver le pouvoir. Pour le général Yoweri Museveni, le dirigeant âgé de 79 ans, arrivé au pouvoir en Ouganda après le renversement d’Idi Amin, le désir de s’accrocher au pouvoir est aussi grand, sinon plus grand, que l’ambition qu’il nourrissait de l’exercer pour la première fois il y a de cela plusieurs dizaines d’années. Il dispose d’une panoplie de tactiques grossières mais efficaces pour assurer son maintien au pouvoir en tant que commandant en chef du pays. L’une de ces principales tactiques consiste au trucage électoral.

Carte montrant les résultats de l'élection présidentielle ougandaise de 2021

Graphique original : Kingofthedead, Wikimedia Commons (CC BY-SA 4.0)

Le dernier exemple en date de l’utilisation de cette tactique remonte aux élections générales de 2021 en Ouganda, que moi-même et dix autres candidats avons contestées et au cours desquelles toute une série de mesures manifestes et secrètes ont été utilisées pour truquer l’élection en faveur du Président Museveni.

Des séquences vidéo partagées avec des ONG, des journalistes et sur les plateformes de médias sociaux décrivent en détail ces incidents. À Kisoro, dans la partie ouest de l’Ouganda, on peut voir un policier dans un bureau de vote en train de bourrer une urne de bulletins de vote sous le regard d’un membre du personnel électoral. Dans une autre vidéo, des bulletins de vote sur lesquels mon nom a été coché, sont abandonnés dans un bureau de vote au lieu d’être déposés dans les urnes. Pendant ce temps, à Bulambuli, un homme vêtu d’une chemise jaune vif (les couleurs de la campagne électorale de Museveni) a été aperçu en train de cocher de multiples bulletins de vote en faveur du Président Museveni. Des actes flagrants de ce type ont été commis un peu partout en Ouganda, souvent avec l’aide du personnel électoral et chargé de la sécurité.

Les manifestations de Bobi Wine : le nombre de morts augmente dans les pires troubles que l'Ouganda ait connus depuis des années

Un partisan du musicien ougandais devenu politicien Robert Kyagulanyi, également connu sous le nom de Bobi Wine, porte son affiche alors qu'il proteste dans la rue contre l'arrestation de Kyagulanyi lors de son rassemblement présidentiel à Kampala, en Ouganda, le 18 novembre 2020. Photo : BADRU KATUMBA/AFP via Getty Images

La phase de dépouillement a également été le théâtre de malversations. Suite à une confrontation avec le Daily Monitor, un journal ougandais, la Commission électorale a reconnu que les votes de plus de 1200 bureaux de vote n’avaient pas été dépouillés. Les bureaux en question étaient situés dans des zones urbaines, telles que Kampala, où j’avais obtenu des résultats favorables, avec plus de 75 % des voix. Au nombre des irrégularités de dépouillement relevées figuraient également les cas de votes de personnes décédées.

Bobi Wine salue ses partisans alors qu'il se lance sur son parcours de campagne vers l'est de l'Ouganda

Bobi Wine salue ses partisans alors qu'il se lance sur sa campagne en direction de l'est de l'Ouganda le 1er décembre 2020. Photo : SUMY SADURNI/AFP via Getty Images

La triste réalité est que le trucage électoral n’est qu’un élément d’un ensemble plus vaste d’outils dont dispose le régime autoritaire, un fait que mes partisans, ma famille et moi-même avons fini par découvrir.

Les jours qui ont précédé l’élection, mes partisans ont fait l’objet de brutalités répétées de la part des forces de l’ordre. Leur crime : avoir exprimé leur soutien à mon égard et brandi des pancartes de l’opposition. Le lendemain des élections de 2021, ma femme et moi avons été assignés à résidence pendant onze jours, au cours desquels notre propriété a été encerclée par la police et l’armée. Les membres de ma famille, mes amis et même l’ambassadeur des États-Unis se sont vu refuser l’accès à mon domicile. Je n’ai été autorisé à consulter mon avocat qu’une seule fois tout au long de ce calvaire. Ce sont là les outils dont dispose l’autoritarisme.

Bobi Wine avec sa famille, à la maison

Bobi Wine assigné à résidence, photographié avec sa famille. Source : X/@HEBobiWine

Pour des dirigeants de la trempe de Museveni, le désir de conserver le pouvoir dicte chacune de leurs actions. Les outils dont ils disposent, notamment le trucage électoral, sont non seulement efficaces, mais aussi transférables ; ils continueront de passer de mains en mains d’un dirigeant autoritaire à un autre. Voilà le combat que nous menons en Ouganda, combat pour lequel nous ne nous avouerons pas vaincus.

Introduction

Contrer la montée de l’autoritarisme

La politique contemporaine se caractérise dans le monde entier par une lutte perpétuelle entre l’autocratie et la démocratie. D’un côté, il y a les campagnes démocratiques héroïques, comme l’illustrent les « révolutions de couleur », qui représentent aujourd’hui à peine 20 % des huit milliards de citoyens du monde, et de l’autre, les régimes autoritaires avec à leur tête la Russie, l’Iran et la Chine. Cette lutte ne se limite pas simplement à la question des libertés et du type de société où les peuples préféreraient vivre, elle a aussi d’autres conséquences pratiques. Une démocratie libre, ouverte et responsable est une condition préalable à l’amélioration des conditions de vie des peuples, et un levier pour la croissance économique inclusive, l’emploi, la santé, l’éducation et la sécurité.

Pourtant, il y a tout juste 20 ans, l’autocratie semblait être en déclin. Les autocrates ne pouvaient plus recourir facilement à des méthodes violentes et à des armes contondantes pour garder les peuples sous leur coupe, comme l’avait fait Staline lorsqu’il a envoyé quelque dix millions de ses compatriotes périr au goulag des suites d’exécutions et de famines provoquées, ou comme l’avait fait Mao avec son « Grand bond en avant » et sa « Révolution culturelle » qui ont coûté la vie à près de 35 millions de personnes. Le grand glissement vers la démocratie a commencé avec le coup d’État au Portugal, le 25 avril 1974, qui, comme le dira Samuel Huntington, va libérer des forces politiques et lancer une vague de démocratisation mondiale, qu’il a appelé la « troisième vague ». 1 Les dictatures de droite ont pris fin en Europe au lendemain des événements de Lisbonne, avec l’effondrement de la Metapolitefsi en Grèce, la mort de Francisco Franco en Espagne, et la succession de juntes en Amérique latine. Puis vint l’effondrement des gouvernements du bloc de l’Est en Europe de l’Est après 1989. 

Le monde semblait être engagé sur la voie de la démocratie. La fin de la Guerre froide marque l’essor des démocraties et de l’industrie artisanale qui l’accompagne. Le nombre de pays classés « libres » par Freedom House est passé de 56 sur 165 en 1987 à un record de 81 sur 191 nations,2 soit le nombre le plus élevé jamais enregistré au cours des 25 années d’existence de l’enquête annuelle sur la démocratie. 

Chronologie montrant le nombre de pays classés comme libres : 56/165 en 1987 contre 81/191 en 2023

De nombreux régimes répressifs ont perdu leur principal allié avec la chute de l'Union soviétique et ont rapidement (et le plus souvent dans un climat pacifique) cédé aux aspirations de leurs peuples à une plus grande ouverture. L'avènement des médias sociaux a fait que, pendant un certain temps, le coût de la tyrannie n'a jamais été aussi élevé, note William Dobson dans The Dictator's Learning Curve.3 Mais les autocrates ont rapidement appris à s'adapter.

Pas libre · Partiellement libre · Libre

Carte illustrant le statut de la liberté dans le monde. Freedom House attribue une cote de liberté et un statut à 210 pays et territoires. Source : freedomhouse.org

Comme l’indique Freedom House dans son rapport pour l’année 2021, la période « a marqué la 15e année consécutive de recul de la liberté dans le monde. Les pays dont la situation s’est détériorée ont été plus nombreux que ceux dont la situation s’est améliorée, et ce, avec la plus grande marge enregistrée depuis que cette tendance négative s’est amorcée en 2006. La longue récession démocratique s’aggrave ».4

Le rapport poursuit en signalant que :


Près de 75 % de la population mondiale vit dans un pays dont la situation s’est détériorée au cours de l’année qui a précédé.

[P]rès de 75 % de la population mondiale vit dans un pays dont la situation s’est détériorée au cours de l’année qui a précédé. Ce recul continu a suscité l’idée d’une infériorité intrinsèque de la démocratie. Au nombre des tenants de cette idée figurent des chroniqueurs officiels chinois et russes désireux d’accroître leur influence internationale tout en se soustrayant à l’obligation de rendre des comptes pour les abus commis, ainsi que des acteurs antidémocratiques au sein d’États démocratiques qui y voient la possibilité d’asseoir leur pouvoir. Ces derniers applaudissent la rupture de la démocratie et contribuent à l’exacerber, s’opposant aux groupes et aux individus courageux qui ont entrepris de remédier aux dommages occasionnés.


La démocratie a depuis lors poursuivi sa trajectoire descendante. À l’aube de 2024, Freedom House a résumé son bilan annuel : « En 2023, la liberté dans le monde a reculé pour la 18e année consécutive. L’ampleur et la profondeur de cette détérioration ont été considérables. Les droits politiques et les libertés civiles ont été réduits dans 52 pays, tandis que seuls 21 pays ont enregistré des améliorations. Des élections entachées d’irrégularités et des conflits armés ont contribué à ce recul, mettant en péril la liberté et infligeant d’indicibles souffrances humaines ». 5 Bien que le nombre d’élections n’ait jamais été aussi élevé, nombre d’entre elles se déroulent dans l’absence d’une contestation ouverte et libre, et d’un dépouillement transparent. Les mouvements de libération d’antan ne tiennent souvent pas leur promesse de remplacer les systèmes oppressifs par des démocraties prospères, au contraire, ils contribuent activement au naufrage de la démocratie, en manipulant les résultats des élections pour rester au pouvoir et s’emparer de l’État grâce à l’instrumentalisation des médias, aux fausses informations, à la propagande générée par l’intelligence artificielle et à d’autres interventions technologiques dans le processus de vote et de dépouillement. La notion de « Sud global » est utilisée à mauvais escient par les autocrates pour suggérer que les Africains et les autres habitants des pays moins développés ne soutiennent pas la démocratie, alors que des études crédibles montrent clairement que la majorité se prononce en faveur d’élections libres et de la démocratie, et qu’il existe des corrélations évidentes entre les performances en matière de développement et la qualité de la démocratie.

Quand bien même le rôle que jouent les autocrates en se soutenant mutuellement se révèle néfaste, les démocrates ne peuvent guère s’attendre à une aide de l’extérieur.

Quand bien même le rôle que jouent les autocrates en se soutenant mutuellement se révèle néfaste, les démocrates ne peuvent guère s’attendre à une aide de l’extérieur. Ainsi, les atteintes à la démocratie, que ce soit en Ukraine ou au Venezuela, au Soudan ou au Myanmar, ont un coût pour les démocrates du monde entier. Souvenons-nous des paroles sages de Justice Johann Kriegler : « Seul un insensé truque une élection le jour des élections ». Il est désormais plus important que jamais, depuis la fin de la guerre froide, de rester vigilant et de mettre en place des méthodes de collaboration entre les démocrates, pendant et entre les élections.

L'année des élections

L’année 2024 avait été décrite comme « l’année des élections » et comme « l’année électorale ultime ». Mais cela ne signifiait pas qu’elle serait l’année de la démocratie. Au contraire, elle pourrait bien s’avérer être l’année de l’autoritaire.

En 2024, la moitié de la population mondiale en âge de voter s’est rendue aux urnes dans 64 pays (et à travers l’Union européenne), un record dans l’histoire. Les résultats de bon nombre de ces élections pourraient s’avérer significatifs pour les années à venir.

En 2024, huit des dix nations les plus peuplées du monde - Bangladesh, Brésil, Inde, États-Unis, Indonésie, Pakistan, Russie, Mexique - ont voté. L’élection de Taïwan en janvier 2024, par exemple, qui a abouti à une nouvelle victoire du Parti démocrate progressiste, est susceptible d’influencer l’approche de la Chine envers l’île, augmentant possiblement le niveau de menace militaire, étant donné la ligne plus autonome du PDP vis-à-vis de Pékin. Le Pakistan et l’Indonésie, les deux nations musulmanes les plus peuplées au monde, ont déjà organisé leurs élections, chacun de ces processus ayant façonné leurs politiques en matière d’inclusion ou d’extraction. L’Iran suivra plus tard en 2024.

Nahendri Modi

Le Premier ministre de l'Inde, Narendra Modi, lors d'une réunion informelle des chefs d'État et de gouvernement des pays BRICS. Source: Wikimedia/Le Kremlin (CC BY 4.0)

Les élections qui se dérouleront en Inde entre avril et mai 2024 ont battu tous les records du monde. Plus de 900 millions de personnes sur les 1,4 milliard d’habitants que compte l’Inde se sont inscrites pour voter. Le Premier ministre actuel, Narendra Modi, espère être réélu pour un troisième mandat de cinq ans.

Plus de 900 millions d'électeurs inscrits parmi les 1,4 milliard d'habitants de l'Inde

Le Venezuela fait également partie des pays qui organisent des élections, lesquelles pourraient bien se révéler controversées et consolider le régime autoritaire en place. En janvier, la Cour suprême du Venezuela a ratifié l’interdiction visant la dirigeante de l’opposition María Machado d’exercer toute fonction publique pour une durée de quinze ans. Cette information a ensuite été confirmée par l’Autorité électorale du pays, ce qui signifie que son nom ne figurera pas sur le bulletin de vote. Sa rhétorique révolutionnaire et ses bérets rouges font du Venezuela un pays admiré par de nombreux populistes en Afrique du Sud, parmi lesquels l’African National Congress (le Congrès national africain ou ANC) et les Economic Freedom Fighters (les Combattants pour la liberté économique ou EFF).

À la mort d’Hugo Chávez en 2013, Julius Malema s’est exprimé en ces termes :

“Je me joins à des millions de progressistes … pour adresser mes sincères condoléances au peuple vénézuélien qui a perdu en la personne du Président Hugo Chávez un leader intrépide, politiquement déterminé et idéologiquement inébranlable.”7 La mort de l’homme fort vénézuélien, des suites d’un cancer, a mis fin à ses quatorze années de règne, mais pas à son mouvement bolivarien, qui dix ans plus tard est toujours aux commandes. “Malgré la résistance massive de fantoches à la solde du régime impérialiste, [Chávez] a réussi à faire entrer le Venezuela dans une ère où les richesses du pays, en particulier le pétrole, ont été restituées à l’ensemble du peuple” — Julius Malema

La Young Communist League of South Africa (la Ligue des jeunes communistes d’Afrique du Sud), une branche de l’alliance dirigée par le parti au pouvoir, l’ANC, a déclaré : “Le camarade Chávez a été une source d’inspiration pour toutes les forces progressistes du monde entier (…). Sa défiance à l’égard de l’impérialisme et son insistance pour que les immenses gisements de pétrole du Venezuela bénéficient aux masses ont transformé la vie de millions de personnes.”8 En 2024, plus d’un quart de la population vénézuélienne avait fui le pays, faisant de celui-ci à la fois le plus grand gisement de pétrole et la plus grande source de réfugiés au monde.

Certaines élections seront beaucoup plus importantes que d’autres, notamment la course à l’élection présidentielle américaine, élection incontournable que l’on fait mine d’ignorer. Malgré tous les pronostics prévoyant l’impossibilité pour l’ancien Président Donald Trump de se présenter, ou de fuir la prison, il est en ce moment bien placé, semble-t-il, pour obtenir un second mandat, preuve entre autres de l’ampleur des divisions sociales aux États-Unis et des opinions à la fois internes et externes solidement ancrées sur le ‘système’.

Donald Trump prononçant un discours lors de la Conférence sur l'action proactive 2023 en Floride

Donald Trump prenant la parole lors de la Turning Point Action Conference de 2023 en Floride. Photo : Flickr/Gage Skidmore (CC BY-SA 2.0)

Bon nombre de ces élections ne seront pas libres, mais constitueront plutôt un moyen de légitimer le parti au pouvoir et/ou de satisfaire les bailleurs de fonds et autres partenaires. 

En Afrique, des élections sont attendues – ou ont été programmées – en Mauritanie, au Mali, à Maurice, au Botswana, au Tchad, au Soudan du Sud, au Rwanda, au Mozambique, au Ghana, en Algérie, au Togo, en Namibie, en Guinée-Bissau, aux Comores, en Tunisie, au Sénégal, au Somaliland, à Madagascar et, bien sûr, le 29 mai en Afrique du Sud. Parmi ces pays, cinq sont classés dans la catégorie « non libre », telle que définie par Freedom House, neuf dans la catégorie « partiellement libre » et cinq autres dans la catégorie « libre » : il s’agit du Ghana, du Botswana, de Maurice, de la Namibie et de l’Afrique du Sud. 

74 % des élections de 2024 en Afrique se tiendraient dans des pays considérés comme partiellement libres ou non libres.

L'élection malienne avait déjà été reportée à une date indéterminée, tandis que l'élection au Sénégal a été retardée en raison de l'ingérence politique du Président qui tergiversait en raison d'une victoire probable de l'opposition. 

L'Afrique est loin d'être la seule affectée dans sa gestion de la montée de l'autoritarisme. Le Premier ministre du Bangladesh, Sheikh Hasina, a remporté un quatrième mandat consécutif en janvier 2024, bien que l'élection ait été boycottée par le principal parti d'opposition du pays en signe de protestation contre la répression de l'opposition politique.

Sheikh Hasina, Premier ministre honorable du Bangladesh

Sheikh Hasina, Premier ministre du Bangladesh. Source : Flickr/Russel Watkins, DFID (CC BY 2.0)

De même, au Pakistan, bien que son parti ait été interdit et qu’il ait été emprisonné pour des motifs que ses partisans considèrent comme fallacieux, l’ancien Premier ministre Imran Khan a remporté le plus grand nombre de voix lors des élections de février 2024, mais pas suffisamment pour obtenir une majorité absolue. La « réélection » de Vladimir Poutine en mars entre également dans cette catégorie, surtout après l’assassinat en prison, le mois précédent, d’Alexei Navalny, son détracteur numéro 1 sur la scène nationale. 

59 % des 64 élections prévues dans le monde en 2024 se tiendront dans des pays considérés comme partiellement libres ou non libres

Des 64 élections prévues dans le monde en 2024, Freedom House indique que 38 soit 59 % se tiendraient dans des pays considérés comme « non libres » ou « partiellement libres ». Bien entendu, ces élections présentent des subtilités, notamment en ce qui concerne le taux de participation réel, indicateur du soutien d’un homme fort (ou d’une femme forte), et la nature du régime au pouvoir. Essayer de catalyser un processus démocratique et de garantir un résultat équitable dans un pays sous régime militaire est une chose, le faire dans un régime aux tendances autoritaires en est une autre. 

Démocraties autoritaires

« Pour mes amis, tout, pour mes ennemis, la loi », clamait le général péruvien Óscar Benavides. Le général a exercé deux mandats présidentiels au Pérou, le second (1933–1939) pendant une période qualifiée de « fascisme autoritaire ».

Les méthodes que les régimes autocratiques utilisent pour se maintenir au pouvoir nous rappellent les propos de Benavides. On pourrait employer l’expression oxymorique « démocrates autoritaires » pour décrire le caractère antidémocratique de l’utilisation qu’ils font des institutions publiques desquelles ils n’hésitent pas à tirer profit, que ce soit en éliminant leurs rivaux de la course à la présidentielle ou en bafouant les pratiques acceptables. Il existe toute une série de tactiques pour conserver le pouvoir et l’illusion de la démocratie : les ONG locales peuvent faire l’objet de pressions par le biais d’inspections des impôts et d’autres contrôles fiscaux, de procédures d’enregistrement strictes et de mesures destinées à freiner les flux de bailleurs de fonds étrangers, pendant que les ONG contrôlées par le gouvernement (appelées peut-être à juste titre GONGO en Russie) prolifèrent. Dans ces pays, la critique est considérée comme une trahison et la diversité des opinions comme une faiblesse et rarement comme une force. Les dirigeants qui découragent l’étude et l’examen critique de leurs propres situations ne voient manifestement pas l’ironie de la chose, étant donné que c’est précisément cette remise en cause qui a non seulement contribué à se libérer du joug colonial, mais qui a également été à l’origine de l’innovation dans les économies développées.

Les dirigeants qui découragent l’étude et l’examen critique de leurs propres situations ne voient manifestement pas l’ironie de la chose.

Ces types de régimes privilégient les listes de partis et les nominations, au détriment du suffrage universel direct. Ils s’en prennent aux organes de presse et aux journalistes indépendants (quelquefois jusqu’à provoquer la mort, comme ce fut le cas en Russie), tout en s’assurant d’être à la une de la presse locale. Ils jouent sur le besoin de stabilité, ils essayent d’amadouer leurs partisans en leur offrant des contrats, des prestations sociales, des pensions et des emplois - autant de conditions propices à la corruption généralisée et à la stagnation. Le concept retenu est celui d’un « État développementiste » ou d’un « État comme force de développement ». L’emploi dans le secteur public est maintenu à un haut niveau, au même titre que les allégeances. En Afrique du Sud, où le taux de chômage est supérieur à 40 %, l’État est aujourd’hui le principal employeur, avec environ un quart des effectifs.

Afrique du Sud : 40 % de chômage, 60 % de la population active

Et lorsqu'il s'agit d'élections, l'approche est nettement plus sophistiquée et ne se limite pas à malmener ou emprisonner des opposants, ni même à truquer les résultats des scrutins. Parmi les techniques utilisées figurent le charcutage électoral, la falsification des registres électoraux, l'invention de faux électeurs, l'exploration des listes électorales (notamment à travers la tristement célèbre base de données numérique Maisanta au Venezuela), la redistribution du butin sous forme de contrats et de biens aux partisans, l'étranglement des ressources destinées aux opposants, y compris par l'intimidation des bailleurs de fonds, la restriction du financement étranger accordé aux ONG et le contrôle des médias. Les élections sont une nécessité pour maintenir la légitimité, et elles deviennent donc la cible de l'appareil d'État. Comme l'a souligné Dobson à propos du Venezuela sous Chávez :

...un "paradoxe unique : à chaque élection, le pays perd un peu plus de sa démocratie".9

L’économie politique est modelée par les besoins du pouvoir et du clientélisme. Comme le rappelle Tendai Biti, « Le maintien du pouvoir alimente l'utilisation de l'État comme une arène de redistribution. » De même, l'identité est utilisée comme un outil de loyauté et de privilège. Selon Biti, un ancien opposant au régime de Robert Mugabe, qui a été ministre des Finances dans le gouvernement d’unité au Zimbabwe, « la pauvreté et l'ignorance sont instrumentalisées à travers les dons, l'alimentation et les subventions sociales, où la dépendance est utilisée comme une force malveillante par les dirigeants ».10 

La tentation pour les dirigeants de s'éloigner des idéaux libéraux est évidente, ne serait-ce que parce qu'elle élimine les contraintes sur la maniabilité et impose des niveaux de transparence et de responsabilité. Ainsi, l'autoritarisme n'est pas seulement une question de violence en soi, ni même de savoir si les votes comptent – et sont comptabilisés – lors des élections nationales. Il s'agit d'un système et de l'objectif du gouvernement, où les élites profitent de manière disproportionnée et ont peu (ou pas) de comptes à rendre ou de chances d'être évincées par les urnes. Ce modèle est attractif pour ces élites. Il offre la perspective d'une accumulation rapide de richesses pour un petit nombre de privilégiés (avec le « grand homme » au sommet de la pile de milliardaires, à l'instar de Vladimir Poutine, par exemple) et de ne jamais perdre le pouvoir sans limites légales à l'autorité personnelle et au contrôle de l'État sur tous les freins et contrepoids, y compris les médias. 

Cela est étranger aux pays occidentaux, quel que soit l'attrait personnel pour certains dirigeants. Imaginez, comme l'écrit Anne Applebaum, « un président américain qui contrôlerait non seulement la branche exécutive – y compris le FBI, la CIA et la NSA – mais aussi le Congrès et le pouvoir judiciaire, The New York Times, The Wall Street Journal, The Dallas Morning News et tous les autres journaux ; ainsi que toutes les grandes entreprises, y compris Exxon, Apple, Google et General Motors ».11

En réponse à leur insécurité, « au lieu de la démocratie », poursuit Applebaum, Poutine et ses semblables « promeuvent l'autocratie; au lieu de l'unité, ils essaient constamment de créer des divisions; au lieu de sociétés ouvertes, ils prônent la xénophobie. Plutôt que de laisser les gens espérer quelque chose de mieux, ils encouragent le nihilisme et le cynisme ».

Cette cabale veut que la démocratie échoue, et pas seulement en Ukraine.

Voilà donc la décision de réenvahir l'Ukraine, de faire s'effondrer sa démocratie et son économie, de pousser les institutions occidentales à leurs limites, et de soutenir les régimes autoritaires ailleurs, de la Syrie au Soudan, tout en réduisant l'influence américaine. Pour parodier la ligne de Francis Fukuyama sur la fin de la guerre froide, c'est le retour de l'histoire. Mais c'est une histoire qui se réécrit à grands risques et coût élevé. 

Les dangers croissants de la tentation autoritaire sont visibles, notamment en matière de gouvernance, de responsabilité, de transparence et de droits de l'homme. Mais ce n'est pas un grand saut pour un mouvement de libération imprégné d'une fausse idéologie communiste (les dirigeants ont tous des intérêts commerciaux privés importants) et une lutte où la fin justifie souvent les moyens. En ajoutant à cela, en vivant dans une région entourée d'autres mouvements similaires, d'Angola à travers la Namibie et le Zimbabwe jusqu'au Mozambique et à la Tanzanie, tous sont encore fermement ancrés au pouvoir depuis l'indépendance. La plupart ont jusqu'à présent fonctionné moins par peur et violence manifeste que par des moyens plus sophistiqués, une combinaison de stratagèmes économiques quasi-mafieux, de contrôle des médias et d'affaiblissement des institutions, un mélange soigné de « coercition calibrée » impliquant l'application d'une certaine peur avec la distribution de loyers, l'intimidation et la propagande, des stratagèmes idéologiques élaborés et ce que Sergei Guriev et Daniel Triesman appellent des « rituels de loyauté », de la corruption à l'auto-censure.12 Ces méthodes incluent l'utilisation de banques et institutions offshore pour à la fois protéger leurs actifs et corrompre d'autres à leur cause. Bien qu'ils puissent (en grande partie) rester dans les limites de la loi et de la violence, ils ignorent systématiquement l'esprit de la loi. 

La montée de ces « démocrates autoritaires » peut bien sûr être résistée. L'histoire de l'activisme démocratique non-violent montre l'importance de ce processus de ciblage des partisans étrangers des régimes, pas des fonctionnaires locaux, et une ou deux personnalités clés, dans des tentatives de fragmenter leur façade. Des sanctions ciblées contre ces individus peuvent également prendre effet, même si c'est seulement comme un outil d'ostracisme, car il n'y a rien qu'un paria politique aime habituellement plus que d'être adoré.

Benazir Bhutto

Benazir Bhutto. Source : Flickr/AnneAE (CC BY-NC-ND 2.0)

Benazir Bhutto, par exemple, a évoqué l'efficacité des mesures financières comme facteur de pression sur les dirigeants, du fait des points de vulnérabilité. « Le premier appel qu'ils recevront viendra de leur maîtresse qui faisait ses courses chez Harrods lorsque sa carte de crédit a été bloquée », a-t-elle déclaré à Ron Suskind, son biographe.13 « Et le second viendra de leur femme demandant pourquoi les frais de scolarité du petit Ahmed n'ont pas été payés à Georgetown. Ils ne tarderont pas à changer d’attitude ». Des contre-arguments se posent, notamment du fait que les sanctions ont pour effet d'externaliser les causes des problèmes d'un pays, à l'instar de ce que la Zimbabwe African National Union – Patriotic Front (l'Union nationale africaine du Zimbabwe – Front patriotique ou ZANU-PF) a tenté de faire en prenant des mesures ciblées contre des membres éminents du parti au Zimbabwe, et aussi du fait qu'elles demandent une résilience que les démocraties n'ont pas. Toutefois, la rhétorique hostile sur ces types de mesures personnalisées laisse penser qu'elles sont efficaces, ou du moins, qu'elles affectent directement les personnes qui en sont le point de mire.

Révolution tunisienne

Révolution tunisienne. Source : Flickr/Chris Belsten (CC BY 2.0)

Les manifestations et rassemblements non violents peuvent être un moyen efficace de faire émerger discrètement des questions sociales et politiques, tout comme des slogans et symboles frappants peuvent se révéler de puissants catalyseurs politiques (tel a été le cas de la révolution de jasmin en Tunisie, de la révolution de velours en Tchécoslovaquie, de la révolution des roses en Géorgie et de la révolution orange en Ukraine). L’enquête d’opinion est un autre moyen de résister à l’intimidation et aux manœuvres pour faire jouer la carte de l’identité. En contactant directement les groupes échantillonnés, il est possible d’établir quels sont les problèmes qui préoccupent les électeurs et de jouer sur ces points, et par là même, de modifier les stéréotypes identitaires.

Les partis au pouvoir ne sont toutefois pas les seuls fautifs, ni les seuls à devoir être contrôlés ou changés. Les partis d’opposition devront eux aussi redoubler d’efforts. 

Le défi de la première libération

Autre tendance, la façon dont les anciens mouvements de libération apprennent rapidement à tourner le pouvoir à leur avantage, comme le feraient des démocrates autoritaires, et notamment leur manière de collaborer entre eux, face aux défis que posent les partis et les mouvements d’opposition démocratiques.

La plupart des pays d’Afrique australe n’ont pas encore connu de « seconde » libération, autrement dit, la libération des mains des libérateurs. Au lieu de cela, les sept anciens mouvements de libération régionaux restants ont cherché à asseoir leur pouvoir, en collaborant les uns avec les autres à cet effet, et en contrant leurs ennemis, supposés ou autres.

Ils comprennent :

  • Le Mouvement populaire pour la libération de l'Angola (MPLA, au pouvoir depuis 48 ans en 2024), 
  • Le Parti démocratique du Botswana (BDP, 58), 
  • Le Front de libération du Mozambique (FRELIMO, 49), 
  • L'Organisation du peuple du Sud-Ouest africain de Namibie (SWAPO, 33 ans),
  • Le Chama Cha Mapinduzi de Tanzanie (CCM, ou « Parti révolutionnaire », près de 63 ans si l'on inclut la période pré-parti entre 1961 et 1977), 
  • Le Congrès national africain (ANC) en Afrique du Sud (30), et
  • ZANU-PF, 43.

Un des moyens de coopération a été par le truchement de l’organisation du Former Liberation Movement (l’Ancien mouvement de libération ou FLM), dont le tout dernier sommet s’est tenu aux Chutes Victoria le 18 mars 2024. Pour tous les membres de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), le FLM est une réincarnation du groupe des « États de la ligne de front » qui s’était réuni dans les années 1970 pour lutter contre l’apartheid. Toutefois, l’incarnation moderne de cette organisation ne vise pas à promouvoir les intérêts des 216 millions de personnes qui vivent à l’intérieur des frontières de ses pays membres, mais plutôt à maintenir le parti politique au pouvoir. Selon un communiqué de presse de l’ANC publié au terme du sommet qui s’est tenu aux Chutes Victoria, le FLM est:

Intro Anc

[Une] plate-forme cruciale pour progresser vers la consolidation d’un front progressiste dans la région de l’Afrique australe et sur l’ensemble du continent, d’autant plus que les forces contre-révolutionnaires cherchent à diviser et à fragmenter le front progressiste par le biais de forces politiques dissidentes, y compris en finançant des ONG qui servent de façades pour parvenir à de telles fins. Aussi l’agenda contre-révolutionnaire continue-t-il à se manifester hideusement, à travers le soutien de divers partis politiques d’opposition censés fragmenter le soutien électoral populaire du FLM. Ces forces cherchent à stopper le progrès de la révolution et à maintenir le continent africain en position de fournisseur de ressources naturelles pour enrichir le monde occidental, comme c’était le cas à l’époque de l’esclavage et de la conquête coloniale. Le néocolonialisme considère le FLM comme une véritable menace, d’où la volonté de déstabiliser notre unité en recourant à des procédés complexes, imbriqués dans toutes les sphères de notre nation, afin de conquérir l’esprit de notre peuple et de le dresser contre les FLM.14

Communiqué de l’ANC sur la passation de la présidence de la réunion de l’ancien mouvement de libération (FLM) des six partis amis de la Zanu-PF (Camarade Dr O.M. Mpofu) à l’ANC (Camarade Fikile Mbalula) aux Chutes Victoria, le 18 mars 2024, Congrès national africain, 17 mars 2024

Cette description passe sous silence des décennies de mauvaise gouvernance et impute la colère des électeurs à l’égard des FLM à des acteurs extérieurs. 

Dans les années 1970 et 1980, les États de la ligne de front ont été confrontés à l’ennemi commun qu’était l’apartheid. Aujourd’hui, ils sont unis par des objectifs moins nobles. Ils partagent un nouvel ennemi commun : les partis d’opposition qui osent remettre en cause leur mainmise sur le pouvoir et les rentes considérables dont bénéficient leurs élites par le biais de contrats et de la corruption. Il est inconcevable pour eux que les partis d’opposition soient totalement originaires de leur pays et bénéficient d’un soutien important de la part de la majorité de la population. Le FLM a été créé pour contrôler et analyser les tendances géostratégiques et les défis nationaux et mondiaux qui se posent à leur autorité, et pour concevoir des plans d’assistance mutuelle. 

Même l’Occidental le plus optimiste et le plus enthousiaste à l’égard des mouvements de libération – qui comptent encore quelques sympathisants – reconnaîtra que cette évolution n’est pas dans l’intérêt des peuples qui vivent sous ces régimes, ni dans celui de la cause de la démocratie en général. Lors d’un précédent sommet du FLM en 2017, un document intitulé _War with the West_ a été adopté, lequel reprochait aux anciennes puissances coloniales et aux États-Unis de chercher à changer les régimes à travers des « révolutions de couleur », le financement des membres de l’opposition et même par des tentatives de coup d’État. Ce sommet est parvenu à la conclusion de la nécessité d’une école politique commune à visée idéologique, afin d’inciter à la vigilance face à de telles menaces. Cette dernière offrirait une « base idéologique solide » aux cadres du parti, ainsi qu’une série de « mesures disciplinaires sévères » que les mouvements de libération amis devront mettre en œuvre.15

Le communiqué du sommet des FLM de 2024, dont les propos reflètent leur tendance à se battre contre des moulins à vent à la recherche d’ennemis idéologiques imaginaires, se termina par la déclaration suivante :

Intro Anc

‘À l’approche des élections nationales et provinciales, nous sommes convaincus que les forces néocoloniales qui cherchent à déstabiliser les mouvements de libération n’y parviendront pas. Nous, l’ANC, sommes convaincus de remporter une victoire électorale écrasante, car les personnes qui défendront le mouvement sont les forces motrices et les bénéficiaires du changement, autrement dit, notre peuple.’ Le communiqué continue ainsi, ‘Nous croyons que notre programme de transformation résonne plus fort que la propagande bon marché qui cherche à faire vaciller l’hégémonie politique des FLM.’16

Déclaration de l'ANC sur le transfert de la présidence de la réunion de l'Ancien Mouvement de Libération

Le FLM exprime ainsi ouvertement son objectif de définir des stratégies pour permettre aux mouvements de libération de s’accrocher au pouvoir politique ; des partis qui, lorsque l’on combine le temps qu’ils ont passé au pouvoir, auront cumulé 324 ans de règne en 2024. En d’autres termes, tous les moyens sont bons pour atteindre un but donné quand il s’agit de pouvoir, que ce soit par la caricature jaunie des oppositions démocratiques en les qualifiant de néocolonialistes, de néolibérales ou « d’occidentales », ou par le rejet des révolutions de couleur sous prétexte qu’elles seraient le fruit de complots extérieurs dirigés contre l’intérêt du peuple. 

Les démocrates du monde entier, et en particulier ceux qui vivent en Occident, devraient arrêter de croire que les mouvements de libération africains partagent leurs valeurs ou même leurs intérêts, d’autant plus que les deux sont liés. Mais les démocrates africains devraient s’inquiéter davantage des tentatives délibérées visant à diluer et à réduire leurs droits. Ils ne peuvent pas prétendre ne pas avoir été avertis, étant donné la hardiesse des anciens mouvements de libération à cet égard. 

Les régimes autoritaires s'unissent effrontément

La Mwalimu Julius Nyerere Leadership School a été créée en 2022 en Tanzanie par le Chinese Communist Party (Parti communiste chinois ou CCP) comme l’école de formation politique désignée dans le communiqué du FLM précité, pour servir « d’école politique suprême pour tous les partis membres \\[sic\\] du FLM ». Ceci devrait susciter de vives préoccupations, et pas seulement de la part des concurrents continentaux étrangers de la Chine. Les démocrates du monde entier, y compris en Afrique, devraient se réveiller. 

École de leadership Mwalimu Nyerere

La première chose que les participants voient en entrant dans l'école de leadership est une citation du premier dirigeant de la Tanzanie après l'indépendance, Julius Nyerere. Photo : Mwalimu Nyerere Leadership School

Soutenue par le PCC en Chine, la Nyerere Leadership School a été créée pour assurer la formation idéologique et la mise en réseau des cadres de six des sept partis de libération d’Afrique australe (le Botswana n’était pas inclus au départ) qui sont restés au pouvoir depuis l’indépendance : le MPLA, le FRELIMO, la SWAPO, le CCM, l’ANC et la ZANU-PF.

Cette inquiétude quant au rôle de la Chine est loin d’être due à la sinophobie. La nouvelle vague d’intérêt de la Chine pour l’Afrique depuis l’an 2000 a apporté beaucoup de changements positifs, qui se sont traduits par des investissements dans les entreprises et la construction d’infrastructures, et ce faisant, elle a contribué à transformer la façon dont le continent est considéré, non plus comme un problème à résoudre, mais comme un continent avec des perspectives commerciales. 

Mais cette école du parti ne cherche pas à transmettre les enseignements en matière de réforme économique, d’efficacité bureaucratique ou de stratégies de lutte contre la corruption, autant de domaines pour lesquels la Chine possède une expérience considérable. En tout état de cause, aucun de ces messages ne revêt un intérêt particulier pour les participants.

Il s’agit plutôt d’une manœuvre géopolitique cynique qui s’accompagne de conditions claires et qui vise à créer un effet de levier. La conditionnalité chinoise, au sens « occidental » du terme, dans ce cas, n’est pas synonyme d’une meilleure gouvernance – en fait, il se pourrait même que ce soit le contraire – mais plutôt d’endettement, et d’endettement massif.

Graphique montrant une augmentation de 138,7 millions en 2004 à 170,1 milliards en 2024

Les prêts chinois aux pays africains sont passés de 138,7 millions de dollars américains à 170,1 milliards de dollars américains au cours des 20 dernières années. En Afrique subsaharienne, la part de la Chine dans la dette extérieure publique totale est passée de moins de 2 % en 2005 à près de dix fois ce pourcentage en 2021. Voilà donc un levier particulièrement utile en soi pour assurer le soutien de l’Afrique à la Chine, ainsi qu’à ses objectifs plus larges et un acompte ferme sur les ressources minérales et énergétiques de la région.17

Cette évolution politique est extrêmement préoccupante et devrait jeter le doute sur les raisons qui ont poussé ces mouvements de libération à briguer le pouvoir et sur les moyens mis en œuvre pour y parvenir. La Nyerere Leadership School donne aux partis du FLM la possibilité de collaborer systématiquement par le biais d’une formation conjointe dans des infrastructures mises à leur disposition par l’école centrale du parti PCC à Pékin, grâce à un don de 40 millions de dollars américains.18

Cela n’a pas été fait dans l’intérêt de la démocratie, bien au contraire, étant donné la tendance historique de cinq des six membres fondateurs de l’école (l’Afrique du Sud étant exempte, pour l’instant) vers un régime à parti unique, et la façon dont ils ont constamment usé de machinations pour saper le constitutionnalisme et les pratiques électorales démocratiques. Ils affichent non seulement un mépris manifeste pour l’opposition politique, mais ont également étouffé et entravé tout ce qui constituait une menace démocratique pour leur pouvoir, notamment en emprisonnant, voire en assassinant, les dirigeants de l’opposition et de la société civile qui posaient problème. Aujourd’hui, ils s’allient pour préserver leur pouvoir, en dépit des aspirations de leurs peuples. 

Les deux tiers des Africains préfèrent la démocratie

Deux tiers des Africains interrogés par Afrobaromètre préfèrent systématiquement la démocratie à d'autres formes de gouvernement, parmi lesquels 43 % en Afrique du Sud, 47 % en Angola, 75 % au Zimbabwe, 79 % en Tanzanie, 49 % au Mozambique et 55 % en Namibie.

Il semble qu’on apprécie beaucoup plus la démocratie quand on a été longtemps gouverné par un parti unique.19

Comme le note l’associé de recherche ougandais Paul Nantulya, le terme mandarin désignant cette entraide est weiwen, qui se traduit par « maintien de la stabilité » ou « survie du régime » sous le règne du PCC. Dans un article rédigé pour le Centre d’études stratégiques de l’Afrique, Nantulya conclut que « le modèle de gouvernance du PCC apparaît comme l’une des manœuvres employées pour truquer les systèmes multipartites afin de s’accrocher au pouvoir. »20

Carte de l'Afrique montrant l'emplacement de l'École de leadership Mwalimu Julius Nyerere

L'école de leadership Mwalimu Julius Nyerere est un partenariat entre les partis au pouvoir du Tanzanie, Mozambique, Namibie, Angola, Afrique du Sud, Zimbabwe et le PCP.

S’inspirant de la légende du leader tanzanien post-colonial, Mwalimu Julius Nyerere, la fondation éponyme de leadership est la première école politique construite par le PCC à l’étranger. Des commissaires politiques de l’école centrale du Parti PCC à Pékin ont été déployés à l’école de leadership Nyerere en qualité d’instructeurs chargés de former un « front uni » (ou tongyi zhanxian), une stratégie du PCC visant à mobiliser des soutiens pour promouvoir les intérêts du parti et isoler ses adversaires. 

Les premiers médias extérieurs à parler de la Nyerere Leadership School ont publié ceci : « Derrière les portes closes de l’école, l’économie est reléguée au second plan par rapport à la formation politique. Des formateurs chinois envoyés de Pékin enseignent aux dirigeants africains que le parti au pouvoir doit se placer au-dessus du gouvernement et des tribunaux et qu’une discipline féroce au sein du parti peut garantir l’adhésion à l’idéologie du parti ».21

Huit drapeaux flottent devant l'entrée de l'école

Huit drapeaux flottent devant l'entrée de l'école : le drapeau national de la Tanzanie et un pour chaque parti au pouvoir des pays africains participants, ainsi que le drapeau du PCC. | Photo : Politiken/Sebastian Stryhn Kjeldtoft

L'emblème du PCC figure dans toutes les communications officielles de la Nyerere Leadership School, de même que les insignes des six partis du FLM, tandis que le drapeau du PCC flotte à l'entrée de l'école. Comble de l'ironie, Nyerere prônait la justice sociale et la médiation par le biais d'une culture de la tolérance, mais la Nyerere Leadership School a une orientation tout à fait différente. Lors de la cérémonie de remise des diplômes qui a eu lieu en juin 2023 et à laquelle ont assisté les dirigeants du PCC et du FLM, Richard Kasesela, ancien haut fonctionnaire tanzanien, a fait état des différents scrutins anticipés au sein de la SADC. "Si nous ne remportons pas ces scrutins, nous ne pourrons pas parler de mouvements de libération. Dans l'immédiat, nous devrions aider la ZANU [Zimbabwe] à remporter ses élections. L'ANC [L'Afrique du Sud] et la SWAPO [Namibie] vont aller aux élections l'année prochaine [il faisait référence à 2024] et le CCM [Tanzanie] en 2025. Il nous faut mettre en place des plans pour nous aider mutuellement à remporter ces élections."22

La façon dont la Russie a apporté un soutien militaire aux régimes autoritaires africains et, en retour, a obtenu des minéraux et d'autres avantages financiers, ainsi que les relations croissantes de la théocratie iranienne sur le continent africain, sont autant de raisons de s'inquiéter de l'avenir de la démocratie. Cela dit, le défi ne se pose pas uniquement au continent africain.

La nécessité d'un guide stratégique à l'intention des démocrates

Les mouvements de libération faisaient autrefois de la lutte pour les droits de tous, le moyen de légitimer leur campagne pour accéder au pouvoir politique et, à l’inverse, le moyen de délégitimer leurs opposants. Depuis lors, ils ont ouvertement accepté de saper ou d’abroger ces droits pour conserver le pouvoir, même à l’ère du multipartisme. Christopher Clapham, spécialiste des questions africaines de l’université de Cambridge, explique toutefois que dans l’histoire des mouvements de libération, le moment vient très vite, où un tel régime « est jugé non pas sur ses promesses, mais sur ses résultats, et s’il s’est contenté de conforter sa position de privilégié qui rappelle celle de son prédécesseur évincé, ce jugement risque d’être très sévère ».23

Il est possible de résister à la montée des autocrates et des « démocrates autoritaires », mais pour cela, il faut tirer quelques enseignements majeurs de ces derniers temps.

Premièrement, l’Occident ne viendra pas en aide aux démocrates, en Afrique comme ailleurs. Ils sont trop préoccupés à mener leurs propres combats et à ne pas perdre du terrain au profit de la Chine, de la Russie et d’autres pays.

La stabilité et les intérêts stratégiques l’emportent sur les droits de l’homme. Même si un soutien extérieur s’avérerait utile, rien des récents événements ne laisse espérer quoi que ce soit. Le minimum serait, comme l’a fait remarquer le dirigeant du parti d’opposition en Ouganda, Robert Kyagulany – connu sous le nom de Bobi Wine – à propos des États-Unis, « de ne pas payer notre oppresseur ». Les instances étrangères ne devraient pas causer du tort si elles ne trouvent pas les moyens moraux et financiers de faire le bien. 

Deuxièmement, les mouvements de libération ne savent peut-être pas assurer des services et offrir de meilleurs choix et résultats économiques à leurs citoyens, mais ils savent très bien se maintenir au pouvoir et compter les uns sur les autres pour obtenir de l’aide.

Cet état des choses ne peut être renforcé qu’avec l’implication des autres BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), dont la plupart sont des États autoritaires. Le succès passe avant tout par l’appropriation et l’organisation au niveau local. 

Photo de la famille des leaders du BRICS en marge du 10ème Sommet des BRICS

Photo de la "famille BRICS" en marge du 10e sommet des BRICS en 2018. | Photo : Flickr/GovernmentZA (CC BY-ND 2.0)

Et troisièmement, la responsabilité de gagner des élections doit impérativement retomber sur les mouvements des partis d’opposition eux-mêmes. Certes, les candidats sortants essaieront de voler les élections par bien des moyens, mais il revient aux forces de l’opposition d’agir et de ne pas se contenter d’être des spectateurs passifs.

Les opposants ont besoin de leur propre récit, de se rapprocher des électeurs, de fédérer leurs mouvements et d’adopter les meilleures pratiques du guide stratégique à l’intention des démocrates. Parmi les étapes importantes figurent les campagnes d’inscription électorale et les messages publicitaires ciblés en fonction des résultats des sondages, les stratégies de communication pour lutter contre les fausses nouvelles, ainsi que la formation plus concrète (et le financement) des agents électoraux, une vérification assidue des listes électorales (notamment en supprimant les électeurs décédés) et la mobilisation des démocrates dans toutes les régions, vu le rôle central du suivi et de l’appui africain. Ce sont les citoyens, et non des acteurs extérieurs, qui doivent remporter le vote, bien avant le jour de l’élection. 

Les dirigeants des partis d’opposition et des mouvements de la société civile doivent donc élaborer un « guide stratégique sur la démocratie » en prévision des élections. Les opposants ne peuvent pas se fier uniquement au fait de se présenter contre le Gouvernement. Bien que les médias sociaux offrent de réelles opportunités à l’opposition, particulièrement parce qu’ils réduisent le coût des campagnes, ils ne sont pas une panacée, car le gouvernement peut également tirer parti des mêmes outils et peut « couper » l’Internet. Outre mener de bonnes campagnes, les oppositions doivent avoir une vision qui leur permet de se démarquer. Les partis doivent donner aux citoyens une bonne raison de voter pour eux. Il faut aussi que les démocrates – à l’intérieur et à l’extérieur du gouvernement – développent un récit qui transcende les frontières de l’identité. Tout au long de ce processus, l’opposition doit prouver sa propre légitimité démocratique en tenant les promesses formulées lors de sa campagne électorale.

Ces tactiques et les stratégies qui y concourent font l’objet de ce guide stratégique, fruit du travail d’un groupe de spécialistes internationaux, tous des observateurs avertis des comportements des régimes autoritaires en Afrique et à l’étranger, et dont bon nombre ont eux-mêmes participé à des élections en tant que candidats ou observateurs. Ce livre se veut un guide pour ceux qui aspirent à un avenir plus démocratique en renversant la vapeur face à l’autocratie. Il reste à mener une lutte acharnée et difficile pour garantir un résultat différent et meilleur. 

Les enjeux sont de taille, plus importants qu’ils ne l’ont jamais été depuis la fin de la Guerre froide. La politique et la garantie de la liberté de choix, de l’équilibre des pouvoirs et de la concurrence des idées sont essentielles pour améliorer la gouvernance et les performances économiques.24 Mais, comme l’a dit Viktor Yushchenko, ancien Président de l’Ukraine qui a été à la tête de la révolution orange de 2004 et qui a vu le pays s’engager sur la voie de l’Europe plutôt que de rester sous la tutelle de la Russie, « il n’y a pas de liberté sans démocratie ».25

1 Samuel Huntington, The Third Wave: Democratization in the Late Twentieth Century. Norman: University of Oklahoma Press, 1991.

2 ‘Freedom in the World Timeline’, Freedom House, https://freedomhouse.org/report/freedom-world/50-Year-Timeline.

3 William J. Dobson, The Dictator’s Learning Curve: Inside the Global Battle for Democracy. New York: Anchor, 2013.

4 ‘Democracy under Siege’, Freedom House, 2021, https://freedomhouse.org/report/freedom-world/2021/democracy-under-siege.

5 “The Mounting Damage of Flawed Elections and Armed Conflict”, Freedom House, 2024, https://freedomhouse.org/report/freedom-world/2024/mounting-damage-flawed-elections-and-armed-conflict.

6 Koh Ewe, ‘The Ultimate Election Year: All the Elections around the World in 2024’, Time, 28 December 2023, https://time.com/6550920/world-elections-2024/.

7 Sapa, ‘Malema Mourns Death of Anti-Imperialist Chávez’, Mail & Guardian, 6 March 2013, https://mg.co.za/article/2013-03-06-malema-mourns-death-of-anti-imperialist-chavez/.

8 Sapa, ‘Malema Mourns Chavez’, Soweton, 6 March 2013, https://www.sowetanlive.co.za/news/2013-03-06-malema-mourns-chavez/.

9 Dobson, The Dictator’s Learning Curve.

10 Intervenant lors du lancement de la Platform for African Democrats (Plateforme des démocrates africains), Le Cap, 23 mars 2024.

11 Anne Applebaum, ‘The Reason Putin Would Risk War’, The Atlantic, 3 February 2022, https://www.theatlantic.com/ideas/archive/2022/02/putin-ukraine-democracy/621465/.

12 Sergei Guriev et Daniel Triesman, Spin Dictators: The Changing Face of Tyranny in the 21st Century. Princeton: Princeton University Press, 2022.

13 Discussion, Bellagio, 7 May 2013.

14 Communiqué de l’ANC sur la passation de la présidence de la réunion de l’ancien mouvement de libération (FLM) des six partis amis de la Zanu-PF (Camarade Dr O.M. Mpofu) à l’ANC (Camarade Fikile Mbalula) aux Chutes Victoria, le 18 mars 2024, African National Congress, 17 March 2024, https://www.anc1912.org.za/anc-statement-on-the-handover-of-the-chairmanship-of-the-meeting-of-the-former-liberation-movement-flm-six-sister-parties-from-zanu-pf-cde-dr-o-m-mpofu-to-the-anc-cde-fikile-mbalula-at-victoria/.

15 ‘When “Democracy” Becomes “Regime Change”’, Institute for Security Studies, 15 December 2017, https://issafrica.org/iss-today/when-democracy-becomes-regime-change.

16 « Communiqué de l’ANC sur la passation de la présidence de la réunion de l’ancien mouvement de libération».

17 Hany Abdel-Latif, Wenjie Chen, Michele Fornino and Henry Rawlings, ‘China’s Slowing Economy Will Hit Sub-Saharan Africa’s Growth’, International Monetary Fund, 9 November 2023, https://www.imf.org/en/News/Articles/2023/11/09/cf-chinas-slowing-economy-will-hit-sub-saharan-africas-growth.

18 Jevans Nyabiage, ‘China’s Political Party School in Africa Takes First Students from 6 Countries’, South China Morning Post, 21 June 2022, https://www.scmp.com/news/china/diplomacy/article/3182368/china-party-school-africa-takes-first-students-6-countries.

19 ‘Analyse Online’, Afrobaromètre, https://www.afrobarometer.org/online-data-analysis/.

20 Paul Nantulya, ‘China’s First Political School in Africa’, Africa Center for Strategic Studies, 7 November 2023, https://africacenter.org/experts/paul-nantulya/.

21 Bethany Allen-Ebrahimian, ‘In Tanzania, Beijing Is Running a Training School for Authoritarianism’, Axios, 20 August 2023, https://www.axios.com/chinese-communist-party-training-school-africa.

22 «Discours de Richard Atufigwege Kasesela lors de la cérémonie de clôture de la Mwalimu Julius Nyerere Leadership School », YouTube, https://www.youtube.com/watch?v=5wNOgIQaTDw.

23 Christopher Clapham, ‘From Liberation Movement to Government’, KAS International Reports, 1 February 2013, https://www.kas.de/documents/252038/253252/7_dokument_dok_pdf_33517_2.pdf/7434a417-9120-2bc4-62b3-e9d6ab7c9078?version=1.0&t=1539663338095.

24 Greg Mills, Rich State, Poor State. Johannesburg: Penguin Random House, 2023.

25 Intervenant lors du lancement de la Platform for African Democrats (Plateforme des démocrates africains), Le Cap, 23 mars 2024.

Partie 1

Comment truquer une élection

Au cours des dix dernières années, les dictateurs et leurs alliés de par le monde ont maintes et maintes fois démontré qu’ils savent comment manipuler les élections et se maintenir au pouvoir par le biais d’un large éventail de stratégies sans cesse plus sophistiquées. Même les dirigeants qui provoquent l’effondrement de l’économie et qui laissent la corruption échapper à tout contrôle savent comment appliquer la politique du « diviser pour régner » et intimider les partisans de leurs rivaux. Le livre How to Rig an Election (Comment truquer une élection) (2024) identifie cinq stratégies principales qui ont été utilisées au cours des 30 dernières années pour empêcher la défaite de gouvernements impopulaires : les stratégies de « trucage invisible », telles que le charcutage électoral et la manipulation des listes électorales ; le patronage et la corruption électorale ; les stratégies qui consistent à diviser pour mieux régner et à avoir recours à la peur et à la violence ; les tactiques numériques et en ligne, notamment la désinformation et le piratage ; ainsi que la fraude électorale et le bourrage d’urnes. La combinaison de ces stratégies peut compliquer considérablement l’accession au pouvoir des partis d’opposition et cela permet de comprendre pourquoi, en moyenne, les régimes autoritaires qui organisent des élections sont en réalité plus susceptibles de survivre que ceux qui n’en organisent pas. En général, la qualité des élections est particulièrement faible en Afrique, dans une grande partie de l’Asie, dans les États postcommunistes et, dans une moindre mesure, en Amérique latine (voir Figure 1).

Qualité des élections dans le monde